Les petits riens (du tout)
ou chroniques pas vraiment quotidiennes d’une femme invisible aux pensées fuyantes
Samedi matin, grâce matinée. Non pas grasse, j’ai pas mangé de croissant ou de petit pain au chocolat. Ouais. Moi je ne dis pas chocolatine. Même mon correcteur automatique ne reconnaît pas ce mot.
Balconville dans Villeray. La ville travaille sur Castelnau future rue piétonne. Stationnement en double sur Drolet pour les croissants de la boulangerie. Les condos d’en face ont un nouveau prix, de toute façon c’est laid, comme ceux d’à côté, de plus haut sur la rue et sur les autres rues. C’est comme de la mauvaise herbe, mais pas vraiment parce que la plupart des herbes sauvages servent à quelque chose et sont jolies quand on arrête de se faire croire qu'elles sont laides et nuisibles. Des gens courent avec leurs écouteurs, d’autres après leurs enfants qui approchent trop vite du coin d’la rue. Il va y avoir un nouveau stop, enfin. Monsieur le cordonnier italien passe, il a pris sa retraite, mais s’ennuie de son ancien coin et vient faire son tour des fois. Ça lui fait plaisir quand je le salue. Ça me fait penser au barbier, qui avait pignon sur rue, là où Yannick le chocolatier- crèmeglacier qui se couche toujours trop tard en été, est maintenant installé. Quand ce monsieur est mort, les enfants du quartier ont laissé des dessins, des fleurs des petits mots sur le seuil de la porte. Il était toujours beau, habillé comme un chirurgien avec un sarrau bleu ciel pour s’agencer avec ses yeux, se tenant aussi droit que son poteau de barbier, ses cheveux blancs touffus coiffés vers l’arrière. Tout le monde le saluait. Et il donnait des bonbons aux enfants qui revenaient de l’école. La fin de semaine dans mon coin, c’est l’heure de pointe de samedi 10 h à dimanche 17 h, because Marché Jean-Talon. Je prends mon café avec du chocolat 72 %. Il y a une nuée de gens qui passe, comme mes pensées. Je mets plein de chocolat entre mes dents et je me retiens de leur sourire idiotement. J’éclate de rire invisiblement. Je recommence à faire ce que je sais faire le mieux : rien. Variation 1 Et puis hop, avec moi-même au TNM. Les souvenirs qui remontent. Don Quichotte et les potes c’est bien loin. Ce soir ça sera des souris et des hommes. Euh non, des aiguilles et de l’opium. Qui sait, demain de la tarte aux pommes...? Restait qu’un billet au parterre. Le théâtre ça libère l’esprit, mais pour ça, faut l’avoir l’esprit volage. Et comme il l’a dit le monsieur : le progrès l’emporte sur la créativité. Genre de. Parce que si t’as vu le dernier Mad Max, sans la créativité, le progrès technologique, ben, il n’a pas d’imagination lui. Et puis le retour, c’est dans les Francos. Beaucoup de couples errants, de petits groupes bruyants, de faux saltimbanques, de la bière. Il y a Alex Nevski, avec trop de monde. Je déteste trop le monde quand ils sont beaucoup. Je me prends un classique hot-dog et je marche. Les Foufs, des restants de 5 à 7, encore des couples qui ne marchent pas plus vite que tout à l’heure, un gars à l’œil tatoué. Il a l’air d’un dalmatien. J'ai su que c'est le voisin d'une amie. Tout le monde veut de l’argent. Un gars et son copain, genre d’indiens, pas les autochtones là, ceux qui sont mes cousins lointains, qui m’aborde en anglais et me décoche un compliment bidon. Ça doit être mes cheveux longs de derrière qui l’ont dupé. Ou il se cherchait une sugar mommy. Et merde. S’il m’avait piqué quelque chose dans mon sac, moi dont les ancêtres le faisaient si bien. (C’est de l’humour ça, ris.) Mais non. Tout est là. Re-merde. Et s’ils avaient scanné mes cartes ? C’était un compliment bidon. Pourquoi alors ? Ça m’accompagne jusqu’au métro Mont-Royal. Dans le wagon une guirlande de gars à casquette et à gros bras chantent à gorge éraillée et vraiment faux, vraiment tellement. Un beau grand slow, le grand bateau itou, un touriste qui demande si ce sont des chansons québécoises, dans le sens traditionnel. Je dirais presque, ou en voie de le devenir. Les gars connaissaient toutes les tounes de Desjardins et les chantaient toutes extra faux. On riait, c’était joyeux. Sont belles tes tounes Richard. De vraies Francos presque intimes. C'était pas mal plus beau que la Place des Festivals pas grand chose finalement. Et puis ça parle de Michel Rivard et faire semblant que c’est intéressant…. La petite madame part à rire et dit à sa copine : « je sais même pas c’est qui Michel Rivard. » Pour vrai ?! oui. Et moi j’entends toutes les tounes plates dans ma tête en me disant que c’est impossible. Finalement elles descendent à Laval. Pas moi. C'est une question de goût; Desjardins, Rivard, Montréal, Laval. Variation 2 Lendemain, pas de veille, parce que « de veille » ce n’est plus que dans mes souvenirs. Dans l’ancien temps, plus ancien que les veillées sur le balcon, mais peut-être après celui des graffitis dans les grottes, c’était bien fait. Chacun sa place, selon ce que la nature lui dictait. Les plus jeunes restaient debout, veillaient et surveillaient le village. Les vieux se levaient de bonne heure, ramassaient les corps morts, balayaient le devant des huttes, préparaient le village pour la journée. Les enfants et les chiens couraient partout. Eux ils s’occupaient de vivre. Comme dans la réserve algonquine dans le parc de la Vérendrye où je suis allée jouer il y a un bail. Ça me fait penser au film de Richard, encore lui, le Peuple invisible, mais il était pas encore tourné. Il y avait un ancien qui savait qu'on était pareil. Avant. Ils parlaient des nomades. Les adultes eux, allaient à la chasse et nourrissaient tout le bataclan. Asteure (j’aime ce mot de mon presque pays adoptif, le Québec. Le « presque » c’est pour qualifier le pays, pas l’adoptif.), asteure donc, on veut nous faire accroire (ce mot aussi est joli) qu’on n’a pas besoin d’un village pour élever nos enfants, les enfants. On nous écrabouille pour bien rentrer dans une case sans dépasser. Alors on éduque la petite enfance à vivre en société, on enseigne aux grands que lire, jouer d’un instrument, dessiner, danser c’est bien chouette, mais pas sérieux, même si ça développe le serre-veau. Faut savoir compter, construire, marcher en ligne et penser dans la boite, pas en-dehors. Le rêve est permis au lit seulement. On apprend que le stress c’est normal. Qu’on peut prendre son temps, peut-être le samedi et le dimanche si on a été gentil et qu’on a bien travaillé toute la semaine. Et si tu sais bien compter, les sous surtout, tu pourras même voyager, parce que quand même, les voyages ça forme autant la jeunesse que la vieillesse. Et puis on t'apprendra à gérer : les émotions, ton horaire, ta vie, ta famille, tes envies et même tes échecs. Et puis il y a nous, les artistes. On nous demande de produire. C'est laid cette combinaison de mots. Et les profs de tout acabit à qui on demande de faire des petits cubes avec les élèves. C’est pour les cases. Variation 3 C’est dimanche, les rayons de soleil pour déjeuner, il y en a presque plus dans ma cour, parce qu’il y a un tata, qui a étudié comment construire des condos, mais qui n’a pas appris à respecter l’environnement, alors il gère les voisins pas contents. En plus, mon abricotier n’a pas la vie facile, car passer presque 6 mois les racines à l’air, ça vous refait pas une santé. Pas d’abricots juteux encore cette année, c’est vraiment trop triste. En plus, il n’a presque pas fait de fleurs. Je les aime tes fleurs moi. Tes abricots aussi. Peut-être que mes racines ont passé trop de temps à l'air et que je n'arrive plus à produire quelque chose de joli et inutile, comme un vrai artiste le ferait. Je dois manquer de compost. Ou je suis trop à l'étroit dans ma petite cour. Ou déjà morte. Mais c’est dimanche. J’ai juste envie d’être à l’Île d’Orléans, sur la grève. Même pas les pieds pendants au bout du quai. Comme quand j’avais 5 ans, ou six, je ne sais plus. L’eau goûtait le beurre demi-sel. Et ça sentait la verdure marine. Je m’ennuie du fleuve. Même si j’aime ma cour, ma clôture qui me permet de rêver au-delà, mon arbre fruitier quand il peut (tiens, je vais le baptiser Edgar) la cloche à vent fatigante de la princesse de Laval, ma voisine fourmi qui parle aigu quand elle s’excite, (je ne supporte pas les sons aigus, ça prend toute la place dans mon cerveau, là où mon troisième oeil regarde à travers les autres) et même les jeunes anglos de l’autre côté de la ruelle. Je leur pardonne de parler anglais bien fort le soir les pieds pendants au bout du balcon, parce que des fois ça joue du banjo, du violon et ça chante, ma foi, fort et bien. Variation 4 Aujourd’hui, dimanche. Moi je n’ai pas appris à compter et je ne suis pas un cube. Je vais pratiquer, pour aller répéter ensuite. Même si je ne comprends plus grand-chose. Même si je ne sais plus si je sais, ou si je ne sais pas que je sais. Peut-être aussi je ne sais pas que je ne sais plus que je sais. C’est clair que je n’ai jamais su compter ni marcher en ligne bien droite. De toute façon c’est pas toujours joli les lignes droites. 6 h. La sonnerie de mon STI (Super Téléphone [trop] Intelligent) m’envoie un prélude de Bach pour violoncelle, rien d’agressant, version Miklos Perényi. On dira ce qu’on voudra, la culture ça nous rapproche de nos racines, et les musiciens hongrois (et ceux de l’Europe de l’est en général) ont une façon de phraser qui parle à mes gènes. Les médailles du chien qui s’entrechoquent en font un arrangement original. Comme tous les matins (je déteste dire ça, ça évoque une routine et je déteste la routine profondément). À part quand je la choisis. C’est pour ça que je n’ai jamais eu une vraie job, (ou plutôt ce que l'on veut que je crois être une vraie job), je ressuscite la maison et un petit peu moi par le fait même. Une saloperie de petite pilule, un verre d’eau (eh ! oui, mes organes commencent à me laisser tomber, et comme cette partie invisible de la population, les femmes de 50 ans et plus, ça fait maintenant partie de ma routine, celle que je ne choisis pas et qui m’emmerde); ne pas oublier de démarrer la machine à espresso et surtout nettoyer le sabot. Sinon ça goûte le brûlé, et ça bouche les minuscules petits trous qui font passer ce carburant précieux. Un genre de pétrole pour machine humaine. Des fois on reste en panne même après quelques tasses. Un petit moment de quiétude, seule, avant que ça commence. Ensuite c’est le tourbillon infernal : réveiller mille fois l’ado en une demi-heure, faire son lunch et peut-être le mien. Quelques fois la grande se lève et m’étourdit avec sa joyeuseté, ses yeux de biche, son cerveau qui gambade tout partout, sa bouche qui parle vite, vite, vite en essayant de rattraper ses pensées. Mais c’est mission impossible. Je le sais. Ça fait comme des petits spermatozoïdes qui se frappent au mur du condom. Et ça fait un fouillis de pensées paniquées qui ne trouvent pas la sortie. Et surtout qui n’aboutiront à rien. Pourtant il y en a de bonnes. Faut regarder mille fois dans l’agenda ce qu’il y a à faire parce que la mémoire n’a juste pas envie de se rappeler. Comme si mes aires de Broca et de Wernicke ne savaient plus ce qu’elles avaient à faire. Allez les filles ! Au travail ! Pourtant les mots sont bien écrits avec une calligraphie erratique de gaucher, sans fautes, en diagonale, dans le mauvais carré, barrés, réécrits d’une autre couleur, soulignés, surlignés, effacés avec un effort d’ordre et de classement ; ils rentrent d’un œil et sortent par l’autre qui ne voit pas de toute façon. Marcher le chien. Ça, j’aime presque. Un 20 minutes sans interactions avec des humains. Il me manque juste l’eau, le fleuve, la grève. Ma solitude me manque. Celle qui ne me demande rien. Celle qui me dicte de manger quand j’ai faim, pas quand c’est l’heure. Celle qui me donne la permission de regarder droit devant, dans le vide, et son silence, son chaos, mais son silence surtout. Toute cette vie en accéléré me bouche les oreilles internes. Pourtant il y en a des vies en super-vite, bien plus que la mienne. Mon lobe frontal surchargé par toutes ses demandes de prise de décision, ça m’épuise. Surdité profonde, je ne m’entends plus. Peut-être devrais-je me texter...
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